parfaite promenade
J‘ai accroché mon cerveau au portemanteau puis je suis sorti et j’ai fait la promenade parfaite* : carnet en poche, Le Chien Diogène au pas, suivant le cours du fleuve, avec le crépuscule étirant les ombres sur le sol, au flanc crayeux des murs.
Le Chien n’en savait rien, mais j’avais pris, ce matin-là, de fermes résolutions s’agissant de notre relation, à la fois intime et coupable. Toxique, pour le moins…
Il avait eu beau réclamer en couinant pour plaider sa pitance, dès que je fus rentré en tout début d’après-midi et jusqu’à cet instant, je ne l’ai pas nourri. On était au début du mois, aussi ne comprenait-il pas; d’ordinaire, c’était fête ! Mais là, nul bruit de tire-bouchon pour le rouge du déjeuner, aucun décapsuleur n‘a tinté dans l’après-midi et nous étions sortis sans passer par la superette, nous ravitailler en vin blanc pour la nuit. Toutes choses desquelles dépendait sa ration du jour. Quand je vidais un verre, Diogène s’emplissait la panse. Alors, selon l’humeur, nous restions avachis à nous dorer des mélancolies à grand renfort de sombres musiques au chant plus triste encore, jusqu’à Pas d’Heure et son gourd abrutissement. Ou bien, prolongeant le parcours du début de soirée, après avoir vidé quelques bières et noirci le carnet, nous allions tirer des bords sur le bassin du port - bien nommé ? de plaisance… jusqu’à l’étourdissement et, parfois, au naufrage.
L’hiver, bien avancé, jouait au photographe, fixant tout l’alentour. N’était le froid, vivace, les arbres auraient aussi bien pu passer pour des cactus; en guise de piquants, leurs bras anémiés et torses, griffes impropres à tenir le vent glaçant du nord-est, contenaient mal quelques frissons. Les buissons désormais exposés aux frimas se ratatinaient sur leur trop peu de sève. Dans l’instant, l’herbe même semblait avoir de honte de figurer au tableau d’horreur, contrite, larvée.
Sans m’asseoir sur le banc - pas comme à notre habitude alors, je sortis mon carnet; non pour y inscrire un poème, au contraire ! j’en déchirais un à un les feuillets, les jetant sur le fleuve, seule masse mouvante, boueuse, chargée de morgue, dans ce décor désolé.
Diogène s’inquiétait; il avait bien raison. Une parole vibrait en moi, qui remontait de ma séance d’hypnose matinale; la dernière de trois. Mon cerveau laissé au porte-manteau, je ne songeais à rien d’autre qu’à cet écho : “...car tu ne souhaites plus que quiconque (ni quoi que ce soit) décide pour ta vie à ta place…” Amen !
J’accrochai à son collier la laisse de Diogène après l’avoir nouée, par la dragonne, au dossier du banc vert et blanc que couvrirait bientôt, de son doigt sentencieux, l’ombre hivernale. Je leur tournai le dos.
Regardant d’un œil neuf son tracet rectiligne, pointé vers le cœur citadin, j'allongeai un pas ferme, sifflant, sur La Promenade.
tiniak ©2021 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
*Pour une consigne d'écriture, proposée par marinadedhistoires, à partir de l'incipit : "J‘ai accroché mon cerveau au portemanteau puis je suis sorti et j’ai fait la promenade parfaite" tiré de l'ouvrage de Christian Bobin, Un assassin blanc comme neige- Babelio, 2011.