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2 janvier 2021

Episode 37 - Vides salutaires (2/3)

Trente-septième question posée par l'Atelier en question(s) :
"Avez-vous terminé de coudre l'ourlet ?" 

Voyez plutôt...


Vintage stories : " Vides salutaires (2/3) - No Aloha "


--Frontière turco-irakienne, au soir du 19 mars 1998.-- 
Au lendemain du renvoi du Flight lieutenant (capitaine) Barnhardt à sa base aérienne, un vent froid, venu du nord-est, lançait obstinément ses bourrasques contre chaque flanc des lourdes tentes de campagne qui abritaient les principaux services de Camp Nord : l’hôpital et les sanitaires, la “gare de tri” (l’accueil des réfugiés), l’intendance et l’administration ONG, en lien avec l’OMS, l’ONU, le FMI et les forces de la coalition, engagés dans la pression mise sur le gouvernement irakien de Saddam Hussein.

Le mordant de l’hiver perse, Anne-Sophie semblait n’en avoir cure. En tout cas, pas aux yeux du jeune Arivertso, attaché à son service pour son confort matériel; mais pas que… Particulièrement doué pour cela, Arivertso l’observait.

La corbeille, au pied du bureau de la grande capitaine d’industrie française, regorgeait déjà de maints brouillons avortés, chiffonnés d’une main rageuse.
Arivertso regardait ce ballet, allant du stylo griffonnant des feuillets sur le plateau de formica vers la corbeille de plastique ajouré, proche de la saturation.
Le petit malgache (d’origine… car Arivetso était né en région parisienne, dans une clinique appartenant à la famille Grangier), avec sérieux, le garçon osa ce commentaire :
“Dites, maîtresse… Ne serait-il pas plus direct et davantage signifiant que vous lui disiez de vive voix de quelle nature est votre trouble ? Rien que pour voir la réaction du commandant, mettons ?”
La plume Dupont s’arrêta de gratter la feuille.

Anne-Sophie réfléchissait. Pas à ce que venait de dire le garçon, acquis à son service (très !) personnel. Non pas ! Elle se demandait plutôt comment tant de maturité pouvait être ainsi contenue dans un corps si nubile, pas fini, encore enfant ?
“…en un corps d’enfant, mais d’une maturité mue par un esprit singulièrement aiguisé, pour son âge…” songeait-elle.
“- Sans doute as-tu raison, Arivertso, consentit Anne-Sophie. Rien de tel qu’une confrontation au réel… et en présence, bien sûr.
“- C’est ce que je pense, oui, acquiesça le jeune serviteur malgache. Moi, quand je fais des bêtises, quand je parle trop fort ou quand je me moque gratuitement, j’éprouve très vite le besoin d’aller voir la personne que j’ai pu blesser et tente de m’en expliquer auprès d’elle. Mes parents m’ont appris cela - qui l’ont appris de leurs parents, etc… : on parle souvent bien plus vite que le geste qui compte. Alors, le seul geste qui compte, c’est de rendre la parole à l’autre qu’on aura pu blesser. Pour ça, maîtresse, il faut oser se mesurer l’un l’autre, face à face. Ce n’est après tout qu’une danse, quand on n’est pas trop imbu de sa paillasse… ou de sa panse, ça glisse tout seul.”
Anne-Sophie soupira.
“Si le destin me donne un fils, confia-t-elle en secret, moins à son miroir qu’à l’adresse du garçon qui se tenait debout dans son dos, je n’aimerais rien tant qu’il soit aussi perspicace, aussi aimant et franc que toi, mon Cher Arivertso.”

Le gamin s’effaça en reculant vers l’entrée de la tente, jusqu’à ne plus apercevoir le doux visage de sa maîtresse, pensive.
Il regagna bientôt ses quartiers, où ses parents, contrairement à ce qu’il avait imaginé, ne dormaient pas encore. Bavardant mollement, ils s’affairaient, dans le coin cuisine de leur tente, la troisième de celles dédiées aux personnels français de l’Intendance. Au-delà, dans le dortoir, rares étaient les lits de camp encore éclairés par leur veilleuse.

Tsifoina, la mère d’Arivetso, reprisait le bas de pantalon d’une tenue militaire d’apparat, tandis que son père, Andry, triait des fèves, tout en jetant un œil désabusé vers son journal, un feuillet hebdomadaire distribué sous le contrôle du commandement militaire. Apercevant son fils, ce dernier dit à son épouse :
“- Ah ! Voilà notre cher fils. Il est déjà bien tard, Tsissi; aurez-vous bientôt terminé de coudre cet ourlet ? Il me semble que nos journées s’éternisent au fur et à mesure que les jours rallongent.
“- Tu as raison, mon aimé, répondit Tsifoia sans lever le nez de son ouvrage. J’en ai pour vingt minutes encore, tout au plus. Viens donc t’asseoir près de moi, mon fils chéri. Raconte-nous un peu ta journée.”

C’était ainsi, immuablement. En public, le père et le fils vouvoyaient la mère, laquelle les tutoyait en retour.
Chacun prit soin de ménager son auditoire en ne rapportant que les anecdotes légères à son compte-rendu journalier. Ce truchement, ils le savaient tous, leur permettait d’occulter leur triste lot quotidien, voué à prodiguer des soins, sans toutefois parvenir à traiter, autrement qu’en surface, d’immenses et graves plaies, souvent logées bien plus en profondeur, sous les chairs.

pop-art3c2_2015_Giuseppe Beppe Caliano, Zoia-métisse

***

Bientôt trois heures après le retour du jeune Arivertso auprès de ses parents, Anne-Sophie Grangier, regardait, dans la singulière clarté de la nuit perse, la silhouette imposante d’un officier britannique s'éloigner, rompant la ligne d’horizon.
Rompre...
Elle-même avait dû finalement s'y résoudre et mettre fin à la relation passionnée qu’elle éprouvait toutefois, avec la même intensité qu’à ses débuts, envers cet homme aux qualités contradictoires, mais entières, sincères et tellement résolues à savourer chaque moment de paix accordé à ce combattant émérite.


Négligeant ses dossiers en cours, Anne-Sophie consacra le reste de la nuit à préparer avec minutie son retour aux affaires, à Paris. Elle se le devait à elle-même, bien sûr, mais aussi à cet enfant qu’elle portait en son sein.
Ce fruit d’un amour passionné, elle lui devait un amour absolu, et, au-delà, l’assurance d’un destin incomparable.
“Qu’importe le prénom, sans doute vieillot, dont t’affublera ton père légitime, mon garçon, murmura Anne-Sophie en caressant tendrement l’arrondi naissant sous son nombril. Pour moi, je t'appellerai toujours : Nos Futurs…”

Quand elle alluma le poste radio, dans l’attente du prochain bulletin d’informations de sa matinale favorite, Anne-Sophie sursauta en entendant la plage musicale qui la précédait. Un sourire fantôme apparut à la commissure de ses lèvres, desserrant leur étau.
Les Breeders susurraient : ‘No Bye, No Aloha’.
“Ah, jeunesse !”… 

***

 Illustration graphique : Giuseppe Beppe Caliano, "Zoia", 2015.

>la suite<
___

[précédent]


Pour embrasser tout le fil du feuilleton.


tiniak ©2022 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK


Le feuilleton développe à présent sa DEUXIÈME PARTIE
Intitulée 
"vintage stories", elle opère un retour sur les motivations des personnages, principalement autour de celles d'Anne-Sophie Grangier, mère du personnage central : Sophronyme. 

Le principe de publication demeure le même; il répond aux questions hebdomadaires posées par l'Atelier en question(s), proposé par AnnickSB (que je ne remercierai jamais assez pour cette intiative).


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  • Ma poLésie est une aporie animale et smirituelle que je vous offre de caresser, à l'impromptu. D'accord, j'ai la paronomase au bord de l'asyndète, mais je me soigne aux vers ! TANT QUE DURERA LA GUERRE !! ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ !
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...au front de la mairie le trident délétère...

 

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