La sèche
Le mur de son séjour s’était mis à vibrer depuis que les nuées de la mi-août se chargeaient des orages qui sonneraient bientôt le glas des torpeurs estivales. Imperceptiblement d’abord, mais davantage d’heure en heure, tel un mince frisson, accidentellement récurrent, qui lui frôlait à peine l’épiderme; puis de plus en plus prégnant, chaque jour.
A présent que l’orage se résout à craquer de part en part, se jetant à l’assaut de tout ce qui prétend tenir pour ferme sa terre, un sol, une fondation, une racine, le mur de son séjour la fait trembler de la tête aux pieds. Elle entend vaguement la pluie fouetter les vitres enchâssées dans la façade. Un autre bruit l’inquiète, celui d’une fissure qui se forme devant elle. Nul doute, elle s’élargit !
Sa volonté vacille.
Elle a pourtant délibérément choisi de vivre ainsi, recluse, dans la pierre de Caen venue jusqu’en Vaucluse s’ériger en ces murs où elle a bien vécu (ces joies arrachées aux soucis quotidiens, ces peines contenues parce qu’il le fallait bien) en femme et mère aimantes. Puis, l’époux, les enfants, sortis de l’équation les mettant en balance, elle avait fait ses comptes. A cinquante ans passés, exception faite des rares voyages en famille, des visites périodiques dans la famille et de quelques sorties chez les collègues et amis de son mari, la solitude la trouva sèche, assise au pied du lit, le front sur le poignet, le souffle court et lourd, la parole inutile. De même que ses enfants avaient parfois séché les cours, elle avait séché sa vie, toute !
Cette faille, à présent, qui s’impose et grandit dans le mur de son séjour, est-ce un signe ?
Hâvre improbable désormais, la pierre calcaire où elle s’était fondue parmi les joints sableux, à ne plus s’occuper de savoir quels fussent la saison, le jour ni le moment… la pierre lui intime une pensée nouvelle.
Elle en ressent la sève emplir toutes ses fibres. Elle éprouve une hargne vitale, primale et résolue à ne pas céder à la déliquescence, mais à faire prévaloir, comme cet arbuste obstiné que l’on voit jaillissant d’une ruine apathique, la permanence des choses. Et la pluie, maintenant, lui lave le visage. Elle lâche un soupir, à peine douloureux dans un sourire naissant.
tiniak ©2021 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK