lettre à vif
“Il semble que ce qui vous pousse brusquement à la fugue, ce soit un jour de froid et de grisaille qui vous rend encore plus vive la solitude et vous fait sentir encore plus fort qu’un étau se resserre...”
Ces mots de Modiano gâchaient ma promenade... bordel !
Il y a deux heures encore, je quittais le bureau, gagnais mon logement sur les Grands Boulevards où je me promettais un temps récréatif à écrire un poème. Mais rien ! Rien ne venait transpirer sur la feuille (oui, j’écris à l’ancienne…). Ni brûlot, triste antienne ou vive logorrhée, que dalle !
Boulotté mon casse-dalle, j’optais pour une sortie sur les bords de la Seine où j’ai mes habitudes, ma moleskine en poche et le feutre à mon front. Quand, sur un tourniquet, j’avisais un tableau commis en carte postale : un grinçant Pissaro fleurant bon le déclin de certaine (quoique fort mal nommée) Belle Epoque. M’inspire un soliloque au genre épistolaire….
Ô ma très chair amie, mon éponge, ma fleur !
serions-nous donc si vieux, malgré nos vingt printemps ?
Coule un fleuve muet que bordent les passants
vers le large inconnu des vastes océans
pourtant qu’il fut témoin de tant de nos malheurs…
Quel indécent hasard nous aura épargnés
toi d’un camp de la mort et moi de fusillade ?
La vie s’est acharnée à nous remettre au monde
quand nous l’avons priée, depuis nos corps malades
de nous abandonner, dans l’heure ou la seconde
car s’en était fini de toute humanité !
Tu dois grogner un peu sur ta chaise à bascule
j’entends grincer le bois jusqu’à ta mandibule
et je sais que ta main fait trembler cette lettre
comme la mienne vibre à oser ce “peut-être…”
Suis vivant ! Toi aussi ! quelle improbable foire
a quand même permis qu’on traverse l’Histoire ?
Oui, je sais ton adresse et je saurai m’y rendre
mais diras-tu ces mots que j’aimerais entendre
en réponse au billet dont, ce soir, je me fends ?
Aussi... “je vais laisser cette lettre en suspens”...
Amoureux, mieux qu'avant !
***
"...Mais alors, Maminou, c'était lui mon grand-père ?"
tiniak ©2021 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
Illustration d'en-tête : Pissaro.
Illustrations de bas-de-page : Mona Trad Dabaji; Luc Mertens.
Pour un 68ème devoir du Sieur LeGoût