Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ !
1 février 2021

Abalone

La jungle étire enfin ses bruissements variés, avec le soir qui sombre alors, soudain, brutalement, sous les feuillages gras, sur la terre engorgée, à travers le peu d’air qu’il y ait à respirer. Le village renaît, finis tous les labeurs. Le marché du matin est plus gras maintenant. Le soir est le festin qui fait tout oublier des souffrances du jour. Les enfants sont gavés de fruits, de cris, de courses… Ils s’endorment déjà, sur le sein, le genou, la treille maternante à l’odeur apaisante et la vibration douce.

Les hommes sont ici. Il n’en manque pas un. Ils parlent un peu fort de leur chasse accomplie, déposant leurs trophées autour du feu central où l’on va prendre place, chacun à son endroit. Les couples au plus près des anciens, accroupis, les plus jeunes dans l’ombre. Un grognement se fait plus fort dans les poitrines, à mesure que le feu lèche la chair offerte.
Elle s’avance alors, la Mère de leurs noms.
Elle chante leurs noms, leurs liens dans la forêt. Elle a les bras levés vers un ciel impalpable. Les arbres millénaires en taisent le secret. De sa bouche édentée sortent des sons magiques. Chacun y reconnaît sa partie animale. Les chasseurs, les premiers, en demandent pardon avec un grognement contenu dans leurs mains tout près de leur visage. Les autres, jeunes ou vieux, sifflent, vers le sol à leurs pieds, d’un souffle circonspect, une note fragile.
Vient le temps du partage. La Mère baisse les bras, les yeux dans les feuillages et le pied ferme en terre. Les chasseurs prennent leur part, les jeunes servent les vieux, les vieilles, et les garçons donnent aux filles selon leur sentiment. Chacun mange à sa faim, même la Pâle-Idiote, accueillie depuis peu, après la catastrophe.

Elle a le cheveu dru à la tempe, à la nuque, mais une toison feu décolle de son crâne et lui barre le front. A l’odeur, ça, c’est sûr ! elle n’est pas d’ici; ni de cette vallée ni des monts qui la ceignent. Il s’en faudrait de peu qu’un des hommes l’étreignent, mais son regard les tient, un à un, à distance. Et voici qu’elle danse, devant leurs yeux marrons. Et les flammes lui font comme une révérence. Après quoi, le silence englobe le moment. Elle se saisit alors d’une bourse à son flanc, en tire une denrée nouvelle et intrigante. Prise dans une gangue à l’aspect d’une pierre, elle baigne en un jus au parfum sans pareil.

Au grand étonnement de tous, Mère y compris, elle dit dans leur langue : “Mangez ! Car ainsi, comme moi, ne serez jamais seuls.”

Un enfant tend le bras, l’œil inquiet la questionne : “...ça s’appelle comment ?’
Lui caressant le front, elle répond : “Comme moi, Abalone.”

“ - Et ça veut dire quoi ? ose l’enfant, bégueule.
“ - Vous l’ai dit : Jamais-Seul.”

paint2010_The dance, Nguyen Xuan Huy

tiniak ©2021 DUKOU ZUMIN &ditions TwalesK
pour un Défi du samedi #649.
Illustration : The dance (2010), Nguyen Xuan Huy.

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Captivante plongée dans un monde d'après qui conserve des traces du monde de maintenant mais seul le lecteur le sait. Mystérieux narrateur d'une prose en alexandrins dissimulant son humour dans l'atmosphère grave du moment. Que cet abalone partagé (se multiplie-t-il comme les poissons bibliques ?).soit de bon augure pour le futur, le leur comme le nôtre ! Je me suis posée ici mais j'ai lu plein d'autres pages. Merci pour votre visite.
Répondre
ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ !
Publicité
Newsletter
ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ !
  • Ma poLésie est une aporie animale et smirituelle que je vous offre de caresser, à l'impromptu. D'accord, j'ai la paronomase au bord de l'asyndète, mais je me soigne aux vers ! TANT QUE DURERA LA GUERRE !! ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ ! ⓁⓄⓋⒺ !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog

pin_tiniak-draw1

  

(manifeste poLétique

Poésie ! Poésie ! Tout naît en poLésie !

...le fleuve débitant sa musique immuable...

...le goûter qui mûrit au fond de mon cartable...

...le livre qui m'oublie et peuple mon chevet...

...la raison vacillant au détour d'un sonnet…

 

poLésie, mon pays, où n'est que poésie !

...la rue qui va son train vers l'Autre, à son endroit...

...la pierre de Caen nue, orangée par le soir...

...le balcon dégarni par un soudain hiver...

...au front de la mairie le trident délétère...

 

Poésie sans parti que d'être bonne amie

...me déflorant, tu m'aimes...

...et t'effeuillant, je sème...

...rien n'est plus indicible…

 

poLétiquement pris de fièvre inassouvie

...je te crie sur mon bras...

...tu t'écris sous mon pas...

...nous sommes l'Un Possible...

 

Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 13
Publicité